La justice enquête... (13 janvier 2016)
... sur le sens aigu de la «solidarité» du centriste Sauvadet
Le parquet national financier a ouvert une enquête préliminaire embarrassante pour François Sauvadet, le patron centriste de la Côte-d'Or, ancien ministre de Nicolas Sarkozy.
Une fois de plus, la justice s’intéresse à un ex-ministre de Nicolas Sarkozy. Cette fois-ci, pas de tableaux de maître, ni d’arbitrage litigieux. Le parquet national financier (PNF) a plutôt mis le nez dans la tambouille locale de François Sauvadet, président du conseil départemental de Côte-d’Or et député UDI, tête de liste de la droite et du centre aux dernières élections régionales, prototype accompli du baron local.
Sollicité par Mediapart, le PNF n'a pas retourné nos appels. Mais d’après nos informations, une enquête préliminaire a bien été ouverte par ses soins à la suite d’un signalement effectué en juillet 2014 par des opposants qui s’inquiètent de possibles détournements de fonds publics ou délits de favoritisme au sein du conseil départemental – un signalement d’abord effectué auprès de la procureure de Dijon, qui s’est ensuite dessaisie au profit de Paris en mars 2015. Au cœur du dossier : le sens de la « solidarité » bien à lui de François Sauvadet.
• Un emploi sur mesure pour son bras droit :
C'est le principal angle d'attaque du signalement, qui comporte trois volets, explorés par les gendarmes de la section de recherches de Besançon. Depuis des années, le centriste Pascal Grappin, directeur de campagne de François Sauvadet aux dernières régionales, maire et conseiller régional lui-même, est rémunéré comme chargé de mission au conseil départemental de Côte-d’Or, présidé par son mentor. La bonne affaire remonte à 2009.
À l’époque, il est simple conseiller de François Sauvadet, au sein de son cabinet. Or Pascal Grappin veut se présenter aux régionales de 2010, ce que la loi lui interdit : un collaborateur du patron du département ne peut candidater dans la même « circonscription », sauf à démissionner six mois en amont. Aussitôt dit, aussitôt fait : Pascal Grappin est exfiltré dans les temps et recasé, comme contractuel, au sein des services du département.
Sous la houlette de François Sauvadet, le 3 juillet 2009, le conseil vote une délibération qui crée un nouveau poste de chargé de mission « insertion ». « La Solidarité est le cœur de métier du conseil général », argue, sans rire, François Sauvadet. Le contenu de la mission ? « Une réflexion et un suivi sur la politique d’insertion et de solidarité en lien avec les entreprises », « dans le cadre d’une large concertation avec les acteurs de l’insertion et les entrepreneurs ». Une précision d’orfèvre. Pascal Grappin voit son traitement fixé « dans la limite de » 4 360 euros brut mensuels – tout de même. Arrivé à échéance en 2012, alors qu'il est conseiller régional depuis deux ans, son contrat est renouvelé par une nouvelle délibération ad hoc de l'assemblée départementale.
Dans leur signalement à la justice, les élus d’opposition suspectent un emploi fictif : « Nous n’avons aucun élément concret qui permettrait d’évaluer son activité. (…) Les entreprises d’insertion (…) ont déjà pu le solliciter, mais aucune ne nous confirme que ces sollicitations ont abouti directement et effectivement à une prise en compte. (…) Nous-mêmes n’avons pu observer aucune production (…). Ce sont par des litotes que répondent des agents des services à son sujet : “Un bureau inoccupé”, “Aucune production d’acte”… » Seule l'enquête judiciaire permettra de trancher. En attendant, Pascal Grappin refuse d’expliquer son travail à Mediapart.
« Je suis très très surpris de ce que vous me dites, balaye l’élu. Je ne suis au courant d’aucune enquête, je ne vais pas me justifier alors que je ne sais pas la réalité de cette chose-là. Il faut que j’en réfère à mon employeur. »
Déjà entendu par les gendarmes, l’ancien directeur général des services du département, dont nous préserverons ici l'anonymat, a toutefois livré un témoignage embarrassant. À l’en croire, il a refusé en 2009 de signer le contrat de Pascal Grappin, réclamé par François Sauvadet. Outre des interrogations juridiques, il estimait le nombre de fonctionnaires dédiés à l'insertion déjà suffisant, voire excessif. Dès lors, qui a signé ? Désormais retraité, l'ex-chef des services a rappelé aux gendarmes que François Sauvadet pouvait parapher lui-même… Sollicité à plusieurs reprises, en particulier sur ce point, François Sauvadet n’a retourné aucun de nos appels.
• Des formations entre amis :
Le mélange des genres est allé plus loin. Sachant que les collectivités sont obligées d’offrir des formations à tous leurs élus, Pascal Grappin a cofondé un institut, basé en Côte-d’Or, sobrement baptisé « Territoires et formations », habilité par le ministère de l’intérieur en mai 2013 à vendre ses sessions. Dès l’été suivant, cette association, présidée par Pascal Grappin, alors conseiller-régional-chargé-de-mission-départemental, obtenait deux marchés pour une vingtaine de conseillers départementaux du même bord : 9 449 euros pour l’une, 7 800 pour l’autre, le tout financé sur fonds publics.
Interpellé dix mois plus tard par la gauche, tombée de sa chaise, François Sauvadet a répliqué : « Chacun se choisit sa formation, c’est une liberté, un droit ! Je ne suis ni juge ni comptable des engagements des centres de formation qui sont agréés. »
Dans leur signalement à la justice, ses opposants dénoncent pourtant une « utilisation abusive » des deniers départementaux. D’abord, ils pensent avoir repéré quelques absents ou participants fantômes – une astuce éculée dans le secteur de la formation d’élus, où les tarifs sont facturés par personne. A posteriori, difficile de se faire une idée. Surtout, ils s’étonnent que François Sauvadet ait organisé des manifestations politiques (« Contre-fête de la rose », etc.) au même endroit, les mêmes jours, avec les mêmes élus de sa majorité. Les auteurs du signalement demandent donc à la justice de vérifier : « Le conseil général ne serait-il pas utilisé pour financer la vie politique ? »
• Un marché avec Bygmalion :
En 2008, comme dans pléthore de collectivités tenues par la droite, c'est Bygmalion qui a décroché le contrat pour la fabrication du journal départemental, Côte-d’Or magazine. Attribué via une commission d’appel d’offres, ce marché a été reconduit en 2013. Enjeu financier : entre 100 000 et 150 000 euros par an. En 2008, face à trois autres candidats, la filiale de Bygmalion (arrivée deuxième sur le plan tarifaire) a notamment décroché une note de 10/10 pour « l’originalité et la créativité » de sa maquette. Question créativité, il est vrai que la société pilotée par des proches de Jean-François Copé n’a jamais démérité. À ce stade, rien ne vient cependant suggérer que l’attribution du marché aurait été faussée.
Aux magistrats, les élus d’opposition signalent tout de même qu’ils n’ont pu obtenir l'intégralité des procès-verbaux de la commission d’appel d’offres, puisque l’analyse technique des offres concurrentes a été noircie par les services de François Sauvadet, au nom du secret industriel et commercial. « Ce marché a été contracté dans des conditions strictement conformes au code des marchés publics », a déjà eu l'occasion de répondre le patron du département. À la justice, désormais, de faire le tri dans tous ces soupçons.
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