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Territoires ruraux : quel avenir ?

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En octobre dernier, le Ministre de l'Espace rural et de l'Aménagement du Territoire s'est adressé aux Préfets pour que soient organisées des Assises des territoires ruraux dans toute la France. "L'objectif de cette consultation est d'établir un plan d'actions apportant des réponses concrètes pour favoriser l'attractivité des territoires ruraux aux plans économique, social et patrimonial et pour répondre aux besoins et attentes des habitants, notamment en termes d'accès aux services et aux commerces", nous dit-on. En Côte d'Or, c'est à Saint Seine l'Abbaye qu'une réunion était organisée jeudi 26 novembre. Patrick Molinoz, Pierre-Alexandre Privolt et Pierre Poillot y assistaient.

Retrouvez ci dessous l'intervention de Pierre Poillot, président de la Communauté de Communes de Liernais qui tire le signal d'alarme : "le point de non-retour est, pour le territoire de LIERNAIS (et une part importante du territoire départemental de la Côte d'Or) sur le point d'être franchi ; il est urgent d'engager un programme concret associant tous les acteurs, avant qu'il ne soit trop tard. La réforme des collectivités locales dans sa version actuelle, et la taxe carbone signent clairement l'arrêt de mort des territoires ruraux fragiles. Pourtant un examen  de la situation sociale devrait faire comprendre aux Pouvoirs Publics qu'en concentrant les habitants sur des territoires où la vie est trop chère pour eux (un terrain à bâtir  de 800 m2 en périphérie dijonnaise ou beaunoise se vend le même prix que 100 ha dans le Morvan soit 1000 fois plus...) on crée des déséquilibres insurmontables ; que les démarches type Grenelle de l'environnement sont illusoires quand on concentre à ce point les personnes en certains points où il y a tous les services, et on laisse se vider des pans entiers du territoire !"

LA COMMUNAUTE DE COMMUNES DE LIERNAIS :
UN TERRITOIRE QUI VEUT VIVRE
ET PRENDRE SON DESTIN EN MAIN

Intervention de Pierre POILLOT, conseiller général de la Côte d'Or (canton de Liernais) lors des ASSISES DES TERRITOIRES RURAUX, jeudi 26 novembre - Saint Seine l'Abbaye

Bonjour à tous,

La Communauté de Communes de LIERNAIS regroupe les 14 communes du canton, et a été créée en 2003 par transformation du SIVOM, avec une difficulté de taille liée au fait que la discontinuité territoriale avec MENESSAIRE posait un problème au regard de la loi, et, à lui seul ce détail montre combien la survie des territoires ruraux se heurte d'abord à des règles administratives parfois un peu surréalistes. Il faut rendre hommage aux Préfets LEPINE et HAGELSTEEN qui surent surmonter ce problème.

Je tiens à préciser que la Communauté de Communes de LIERNAIS n'est pas une collectivité dispendieuse, qui seraient pourtant légion si on écoute le discours des plus hautes instances de l'Etat : le Président ne perçoit pas d'indemnité de fonction, et son personnel administratif se limite à une personne à raison de 24h/semaine ! De ce fait, je n'ai pas eu les moyens de  préparer mon intervention avec un support diaporama et je m'en excuse.

Ce territoire a perdu la moitié de sa population depuis 1945, essentiellement en raison de la diminution spectaculaire des emplois en agriculture suite à la mécanisation et à la concentration des exploitations, dans un territoire orienté prioritairement vers l'élevage bovin et ovin de viande. La seule implantation industrielle fut, vers 1960, celle d'une usine à LIERNAIS, sur l'initiative du Conseiller Général Pierre CHARLES, et du Maire Henri COQUEUGNIOT, auxquels je tiens à rendre hommage, car cette initiative se heurta à un conservatisme local qui y voyait un risque de fuite de main d'œuvre de l'agriculture !

Les équipes municipales issues des élections de 2001 furent rapidement et très majoritairement d'accord sur la nécessité d'agir vite pour tenter d'enrayer le déclin vertigineux du territoire.

La Communauté de Communes a des compétences assez élargies, preuve d'une forte volonté de mutualiser les moyens pour agir efficacement, avec notamment :

- affaires scolaires en totalité, et la période 2003-2009 a permis de mettre en place sur tout le territoire une offre scolaire complète, qui était jusque là très incomplète, comprenant : maternelle, primaire, restauration, et garderie périscolaire, avec, entre autres, création d'un RPI et d'une cantine entièrement neuve à CENSEREY

- voirie communale en totalité (à priori cas presque unique en Bourgogne)

- construction d'un gymnase à LIERNAIS, pour pallier l'absence totale d'équipement sportif y compris au collège

- logement locatif à raison d'une unité par tranche de 100 habitants

- développement économique en totalité

 

Le rétablissement de l'offre de services

 

Les élus du territoire ont la conviction qu'un territoire ne peut vivre sans économie, et que le premier vecteur de l'économie est la présence des services qu'ils soient publics, donc devant relever de la solidarité nationale, ou marchands.

A l'évidence, la survie d'un territoire est conditionnée à l'existence d'un pôle d'attraction, permettant d'offrir aux habitants tous les services de « la vie courante », et que ce pôle ne pouvait être que le chef-lieu, LIERNAIS, et qu'inversement ce bourg était condamné s'il ne restait pas ce pôle local.

 

La première action de la Communauté de Communes dans ce domaine a donc été de faire en sorte de conforter ou restaurer l'offre de services de type commercial de première nécessité qui périclitait. Plusieurs raisons à cela : rentabilité trop faible, absence d'investissement de modernisation ou mise aux normes en partie liée à un sentiment de déclin inéluctable, et au refus du système bancaire de s'investir sans même examiner les projets, avant ou après la crise d'ailleurs (il eut été bien éclairé d'avoir le dixième de cette prudence dans ses actions Outre Manche !), et décalage entre la rentabilité et le coût de l'immobilier fortement majoré à partir de la fin des années 90.

Selon un montage identique dans tous les cas, la Communauté de Communes a acheté les murs du commerce et du logement attenant, rénové l'ensemble avec des investissements lourds, et loué l'ensemble à un professionnel qui a acheté le fonds commercial (quand il existait encore), et l'exploite librement.

 

La Communauté de Communes reste propriétaire des murs totalement, et devra le rester pour être certaine de maîtriser la situation durablement.

 

Successivement ont été réalisés un multiple rural presse-épicerie-tabac à LIERNAIS, une boucherie-charcuterie-traiteur à LIERNAIS, la boulangerie de CENSEREY, le garage automobile de LIERNAIS, et la boulangerie de LIERNAIS (opération débutée en mai 2009 qui se termine). Tous sont en bonne voire excellente situation, preuve s'il était besoin que cette offre correspondait à un besoin. A titre anecdotique, la boulangerie de LIERNAIS rouverte après deux mois de fermeture en juillet 2009, connaît une fréquentation exceptionnelle les samedi et dimanche, au point d'avoir une file d'attente de 10 à 15 personnes, phénomène jamais vu à LIERNAIS, de mémoire locale ; la pâtisserie connaît un succès inespéré ! Ces 5 commerces représentent aujourd'hui 13 emplois, qui auraient disparu du territoire sans cette intervention.

En outre, dans un partenariat avec une entreprise spécialisée, la Communauté de Communes a acquis un terrain à la sortie du bourg de LIERNAIS à proximité de la RD 15, y a amené réseau d'eau, électricité, télécom, et mis à disposition de l'entreprise (gratuitement pour une durée illimitée, aussi longtemps que l'activité y sera implantée), qui y a créé, fin 2008, un point de distribution de carburant 24/24 à carte pour VL et PL. Elle a connu très vite un succès au-delà du prévisionnel, et cet équipement a renforcé l'activité des autres commerces.

 

Le principal enseignement à tirer, ce n'est pas une surprise, est qu'il est nécessaire d'avoir au lieu jouant le rôle du pôle d'attraction, tous les « maillons de la chaîne de première nécessité » pour réussir une opération de ce type : boulangerie-pâtisserie, épicerie-superette, charcutier-boucher-traiteur, garage, carburant, médecins, pharmacien, La Poste, Trésor Public, café-restaurant. S'il en manque un seul de cette liste, les habitants vont au pôle où ils trouvent le « service manquant », et là ils font toutes leurs autres opérations...

Chaque opération a coûté globalement entre 220 000 et 260 000 € ttc (hors la TVA sur la partie commerce récupérée avec création d'un budget séparé), et a été financée par :

- le Conseil Régional au titre des Cœurs de Village

- le Conseil Général au titre de l'immobilier commercial et du logement social

- l'Etat au titre du FISAC, que je tiens à souligner (son intervention est devenue tellement rare !) , avec une aide précieuse de la Chambre des Métiers pour le montage

- les fonds libres communautaires (10 à 15% sur chaque opération)

- le recours à l'emprunt calculé de façon que l'annuité+les charges d'impôts locaux  +assurance correspondent environ aux loyers (logement et commerce)

 

L'USINE GEWISS

Comme je l'ai évoqué plus avant, l'implantation  de cette entreprise qui a connu des évolutions remonte aux années 60. Elle emploie environ 100 personnes, c'est dire son importance pour l'économie locale, même si environ un tiers seulement vit sur la Communauté de Communes. Son activité est celle de la fabrication de chemins de câble industriel, et des racks de stockage en entrepôt.

Survient l'épisode neigeux de mars 2006, 60 cm en une journée, suivi d'une pluie qui alourdit cette neige, et cela provoque l'affaissement de plus de 50% des 10 000 m2 de la toiture...Le Bien Public en fera sa une : « l'effondrement de l'usine de LIERNAIS sonne le glas de l'économie locale », et cela pouvait être la dure réalité !

Pourtant l'union de tous les acteurs parfaitement coordonnée va sauver cet outil économique :

- d'abord les salariés de l'usine, sans doute endurcis par la rudesse du territoire vont accepter de travailler dans des locaux ouverts au vent et à la pluie, au point que le PDG déclarera qu'il ne pensait pas qu'il était possible de travailler dans  de telles conditions

- six jours après le sinistre, François PATRIAT, Président de la Région BOURGOGNE, vient sur le site rencontrer les dirigeants et employés et leur parle clairement : si vous reconstruisez à LIERNAIS, le Conseil Régional vous aide à hauteur de 1 000 000€ ; au final ce sera même 1 250 000

- rapidement le Conseil Général emboîte le pas et s'engage à hauteur de 750 000€

- enfin la Commune de LIERNAIS, la Communauté de Communes, et le Syndicat des Eaux, s'engagent à prendre en charge les équipements de réseaux

- la CCI de BEAUNE, et l'UIMM mettent leur poids « institutionnel » dans la balance en insistant sur l'unité d'entente des différents structures publiques de BOURGOGNE, en dehors des clivages politiques, et l'intérêt que cela représente pour les entreprises du territoire. Je tiens à remercier de leur engagement MM MONNOT et AUGAGNEUR, et le Directeur M de CHARRETTE

Cette union sacrée porte ses fruits : le 19 juillet le CA de GEWISS réuni à BERGAME ( où se situe sa principale usine) décide de la reconstruction complète du site et y investira 12 500 000€, dans un chantier qui dure une dizaine de mois, et a des retombées sur l'économie locale (restaurants...). Certes les sommes allouées ont pesé dans la décision, mais l'union de tous les acteurs a aussi été déterminante.

Un grand absent cependant : l'ETAT ne mettra pas un centime, se contentant de ne pas être trop exigeant administrativement sur le permis de construire !...

 

ET AU-DELA...

Vous pourriez attendre après cet exposé, que je vous déclare que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes de LIERNAIS...

Hélas non, il faut regarder les choses avec lucidité : ces efforts ont enrayé le déclin momentanément, mais ces relatifs succès ne doivent masquer la réalité.

Si les Politiques Publiques ne changent pas de façon radicale pour les dix ans à venir, le territoire de LIERNAIS, comme d'autres de même type, mourra. La population continue de baisser, attirée par l'emploi plus abondant autour des centres urbains plus conséquents, et les derniers habitants partiront du fait de la spirale infernale : moins d'emploi→ baisse de population → diminution des services et baisse d'attractivité, et ainsi de suite...

 

Il est assez utile d'observer l'évolution des 30 dernières années du « modelage » de l'organisation des territoires. L'emploi est le facteur principal de l'attractivité d'un territoire. Or pendant ces années, on a assisté à une accélération de la concentration de l'emploi dans les agglomérations. Cela a eu pour effet de créer par l'essaimage des lieux de résidence, des zones d'attraction d'un rayon d'autant plus grand que la Ville centre était importante, et les territoires ruraux concernés ( « campagnes périurbaines ») ont connu un réel essor avec certaines difficultés à résoudre, il ne faut pas le cacher. Mais le phénomène nouveau des 10 à 15 dernières années a été de constater qu'au fil du temps, seules les agglomérations les plus grandes  restaient dynamiques, et la taille minimale pour avoir un effet dynamique sur les territoires ruraux proches a très rapidement augmenté. Ainsi en Côte d'or, seule l'agglomération dijonnaise, et dans une nettement moindre mesure celle de BEAUNE, joue encore ce rôle de « moteur de développement des territoires ruraux ».

Si on ne conduit pas dans un délai proche, des politiques alliant :

- un moratoire de fermeture des services du ressort de l'ETAT :poste, trésor public, écoles, collège et lycée à une distance « acceptable », services de santé offrant une réelle sécurité (qu'est ce qui peut amener des jeunes à rester ou venir s'installer , ou attirer des entreprise, dans un territoire où l'emploi est rare, et, où entre autres exemples, la plus proche maternité est à 100 km ?...). Personne ne conteste la nécessité d'adaptation, mais le système actuel de « massacre à la hache » n'est pas acceptable  Parallèlement l'Etat se doit de ne pas supprimer une présence économique sur un territoire déjà fragile (exemple catastrophique de la fermeture de l'imprimerie de l'Armée à CHATEAU CHINON 58, avec perte de 80 emplois dans une zone déjà économiquement sinistrée, et cela a des impacts jusque chez nous !)

- une réelle volonté de maintenir les services marchands, et culturels avec engagement financier des différents niveaux de collectivités, et une initiative au niveau des COMCOM, qui doivent disposer, de réelles compétences dans ce domaine

- une véritable politique d'offre économique plus équilibrée sur le territoire, nécessitant que soient mis en place dans des pôles ou bassins d'activité pertinents, les équipements d'attractivité indispensables : accès routier, ferroviaire si possible, desserte téléphonie mobile, présence postale et « vrai haut débit »,  et seule la solidarité nationale donc l'ETAT peut le résoudre, en accompagnant cela de politiques financières incitatives pour rééquilibrer l'activité sur l'espace national

dans un délai qui n'excèdera pas 10 ans, les derniers habitants qui constituent les forces vives de ces territoires, s'en iront grossir les rangs des populations des grandes agglomérations, où ils auront du mal à se loger, à y vivre compte-tenu du coût de la vie,... créeront des difficultés nombreuses aux élus concernés (questions sociales, DALO...autres).

 

Le point de non-retour est, pour le territoire de LIERNAIS (et une part importante du territoire départemental de la Côte d'Or) sur le point d'être franchi ; il est urgent d'engager un programme concret associant tous les acteurs, avant qu'il ne soit trop tard. La réforme des collectivités locales dans sa version actuelle, et la taxe carbone signent clairement l'arrêt de mort des territoires ruraux fragiles. Pourtant un examen  de la situation sociale devrait faire comprendre aux Pouvoirs Publics qu'en concentrant les habitants sur des territoires où la vie est trop chère pour eux (un terrain à bâtir  de 800 m2 en périphérie dijonnaise ou beaunoise se vend le même prix que 100 ha dans le Morvan soit 1000 fois plus...) on crée des déséquilibres insurmontables ; que les démarches type Grenelle de l'environnement sont illusoires quand on concentre à ce point les personnes en certains points où il y a tous les services, et on laisse se vider des pans entiers du territoire !

Je ferai partie du dernier carré qui resteron sur leur terre jusqu'au dernier souffle, mais combien serons-nous dans 10 ans au rythme actuel ?

 

 

 

 

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